Ça ne va pas si mal que cela

La force actuelle de l’euro, en particulier face au dollar américain, nous laisse perplexe. Elle ne reflète pas un regain de confiance dans l’économie européenne mais plutôt une baisse généralisée du dollar qui est en grande partie exagérée car elle repose sur l’anticipation que la Réserve Fédérale américaine va baisser ses taux dès le deuxième trimestre de l’année prochaine. Pourtant, ce n’est en rien le message délivré par les membres du FOMC qui plaident pour des taux élevés sur la longue durée. Les paires en EUR, et notamment l’EUR/USD, ne sont donc pas à l’abri d’une correction dans les semaines à venir, d’après nous.

A maints égards, la période actuelle nous rappelle la « défaite de la raison » qu’évoquait Stefan Zweig en référence à la montée de l’antisémitisme et à la fracturation des sociétés occidentales dans les années 1930. Les tensions politiques et géopolitiques augmentent. L’année prochaine sera, en particulier, marquée par une accumulation d’échéances électorales à travers le monde et notamment aux États-Unis. Même si l’incertitude est grande, tout n’est pas noir. Il y a de nombreuses raisons d’être optimiste. L’économie est finalement plutôt résiliente. Au troisième trimestre, le PIB américain a augmenté de 5,2% (deuxième estimation publiée la semaine dernière). Ce n’est pas complètement surprenant avec un déficit public qui atteint 7% du PIB. Mais ça n’en reste pas moins une excellente performance. Le consommateur américain tient. Finalement, la sensibilité de la demande de consommation aux taux d’intérêt est plus faible que prévu. S’ajoute à cela le surcroît d’épargne lié à la Covid qui a servi de matelas de sécurité pour beaucoup de ménages américains afin de faire face à l’inflation. Sur les 2100 milliards de dollars d’épargne, il en reste approximativement 80 milliards de dollars. C’est peu. Mais cela devrait permettre à la consommation de tenir au moins encore pendant deux trimestres.

L’immobilier résiste également. Il était présenté par le consensus comme le maillon faible de l’économie américaine. A tort. L’indice des prix immobiliers de la Federal Housing Finance Agency a connu son treizième mois de hausse consécutive en septembre, avec une progression de 6,1% sur un an (chiffre publié la semaine passée). Toutefois, cette hausse ne reflète pas un vrai dynamisme du marché, mais plutôt un phénomène de pénurie. Et qui dit pénurie, dit hausse des prix. Il y a peu d’offres du fait d’une décennie de construction insuffisante et d’une faible mobilité des propriétaires qui ne veulent pas vendre dans les conditions actuelles. En effet, 90% des prêts immobiliers sont à des taux inférieurs à 3,5%. Logiquement, ils ne veulent pas contracter un prêt à un taux plus élevé pour un nouvel achat. Il y a en revanche un segment où les transactions progressent. C’est celui des ventes de maisons neuves. C’est une exception.

Toutefois, la vraie bonne surprise pour l’économie américaine cette année, c’est peut-être l’investissement. On en parle assez peu, pourtant. Les commandes de biens d’équipement hors défense et aéronautique sont à un niveau supérieur de 17,5% à celui d’avant la Covid. C’est une statistique importante car elle est considérée comme un baromètre fiable des projets d’investissement des entreprises. Vous l’aurez compris, malgré un contexte macroéconomique mondial dégradé, l’investissement des entreprises américaines devrait tenir l’an prochain.

Au regard de ces facteurs de solidité, on voit mal ce qui pourrait entraîner l’économie américaine dans une récession. Le consensus de marché a d’ailleurs ajusté ses prévisions. A part quelques établissements bancaires (comme JPMorgan), tous anticipent désormais un atterrissage en douceur de l’économie américaine – un soft landing.

En zone euro, la croissance n’est pas aussi flamboyante qu’aux États-Unis. Mais nous partons de loin. Rappelons qu’il y a un peu moins d’un an de cela beaucoup d’économistes craignaient qu’une nouvelle crise de l’énergie survienne fin 2023. Ce n’est pas le cas. L’Europe a fait face à sa première vague de froid hivernale la semaine passée sans que cela n’entraîne de hausse des cours du gaz naturel. Au contraire, ils ont même baissé. Cela s’explique par un niveau de stock de gaz record à 97,7%. La croissance renoue avec son niveau d’avant-crise, c’est-à-dire entre 1% et 2%. Le processus de désinflation se poursuit. Quelques pays de la zone euro expérimentent même une baisse des prix, comme la Belgique (-1,7% sur un an) et les Pays-Bas (-1%). En France, l’objectif officiel de hausse du PIB à 1% devrait être atteint cette année si le reflux de l’inflation se confirme et que l’activité atteint un rythme de 0,4% au dernier trimestre. C’est jouable.

Le point technique

Sur le marché des changes, nous considérons que la force actuelle de l’euro face au dollar américain est une anomalie. Le fait que l’euro soit aussi haut s’explique non pas par un regain de confiance dans l’économie européenne mais bien par une baisse généralisée du dollar en raison des anticipations de baisses des taux par la Réserve Fédérale américaine (Fed). Selon nous, au moins trois facteurs incitent à être prudents concernant le niveau actuel de la monnaie unique européenne : 1) l’euro est surévalué par rapport aux fondamentaux économiques ; 2) le marché anticipe une première baisse des taux par la Fed au deuxième trimestre 2024 ce qui n’est en rien certain. Elle pourrait intervenir plus tard, potentiellement même après la Banque Centrale Européenne et 3) l’accroissement des écarts de rendement sur le marché obligataire européen, en particulier entre l’Allemagne et l’Italie, incite à la prudence. Par conséquent, nous considérons que l’euro n’est pas à l’abri d’une correction dans les jours et les semaines à venir étant donné qu’une grande partie de la hausse des dernières semaines ne repose sur rien de solide.

Les supports et résistances affichés ci-dessous indiquent respectivement les points bas et hauts au sein desquels les cours devraient évoluer dans le courant de la semaine.

 SupportshebdoRésistanceshebdo
S2S1R1R2
EUR/USD1,06991,07901,09901,1050
EUR/GBP 0,84440,85110,87150,8835
EUR/CHF 0,93990,94370,96440,9699
EUR/CAD 1,43981,45121,47991,4855
EUR/JPY 157,50158,99161,55162,11

Les annonces à suivre

Nous avons une nouvelle statistique américaine importante cette semaine : l’emploi en novembre. Ces derniers mois, les créations d’emplois ont surpris à la hausse essentiellement du fait d’une dynamique positive dans l’éducation, la santé, les loisirs et le secteur public. Il faudra voir si ce mouvement positif perdure. Dans tous les cas, il est peu probable que cela entraîne un changement de politique monétaire du côté de la Fed. Le taux terminal est déjà atteint.

Vous trouverez ci-dessous les publications et événements qui devraient avoir un impact majeur sur l’évolution du cours des devises.

JourHeurePaysIndicateurÀ quoi s'attendre ?
Le 05/12/202316:00USAIndice ISM non manufacturier (Novembre)Précédent à 51,8 (en expansion).
Le 06/12/202314:15USACréations d’emplois non agricoles ADP (Novembre)Précédent à 113k. Attention, c’est un mauvais indicateur avancé du rapport NFP.
Le 06/12/202316:00CANRéunion de la banque centraleForte probabilité que la banque centrale ne bouge pas ses taux directeurs (actuellement à 5,00%).
Le 08/12/202314:30USARapport NFP sur l’emploi (Novembre)C’est le traditionnel rendez-vous du début de mois. Le consensus prévoit un taux de chômage stable à 4,00%.

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