L’économie funambule

L’économie mondiale est à la croisée des chemins. L’incertitude est élevée à la fois concernant la trajectoire des taux et de la croissance. Sans surprise, l’appétit au risque est au plus bas. On observe depuis l’été un repli sur le dollar américain qui s’est encore accentué la semaine dernière. Faute de boule de cristal, les cambistes privilégient la prudence. Nous nous attendons à ce que cette situation dure au moins jusqu’à la prochaine réunion de la Fed prévue le 1er novembre prochain. Nous espérons qu’à cette occasion le marché aura plus de visibilité concernant la politique monétaire.

Les pessimistes qui prédisaient depuis 2022 une récession aux États-Unis ont eu tort jusqu’à présent. La Réserve Fédérale américaine (Fed) a même revu à la hausse ses prévisions de croissance pour 2024 dans la foulée de sa réunion de septembre. Les optimistes qui pensaient que la période d’après-Covid serait synonyme de croissance abondante doivent revoir leur scénario au regard du ralentissement en cours. L’économie mondiale joue les funambules. L’évolution des mois à venir va dépendre essentiellement de trois facteurs : (1) la capacité de la Chine à restaurer la confiance perdue de ses citoyens ; (2) le passage d’une politique budgétaire neutre en zone euro à une politique budgétaire expansionniste et, enfin (3) l’évolution de la consommation aux États-Unis.
Nous doutons que la Chine soit en mesure de relever le défi du ralentissement économique. Ce n’est pas une question d’argent. En théorie, le gouvernement central peut injecter autant de liquidités que nécessaire. Le problème c’est que même des milliards de yuans ne vont pas suffire pour restaurer la confiance des ménages qui est au plus bas en raison de l’effondrement du secteur immobilier. Il faut rappeler que 60% de la richesse des ménages chinois est liée à l’immobilier. Dans le contexte actuel, il est assez légitime que les ménages préfèrent épargner plutôt que consommer. La crise est grave. L’épargne des Chinois représente 45% du PIB contre environ 18% du PIB en France (sachant qu’avant la Covid c’était plus proche de 14-15% du PIB). Étant donné que la stabilisation du secteur immobilier va prendre plusieurs années, il faut tirer une croix sur l’éventualité d’un redémarrage rapide de l’économie chinoise. C’est la première mauvaise nouvelle.
La deuxième mauvaise nouvelle, c’est que la politique budgétaire est neutre en zone euro. Cela signifie qu’elle ne soutient pas la croissance économique. Pourtant, on en aurait besoin sachant que la zone euro est au bord de la récession technique (deux trimestres consécutifs de contraction du PIB). Les derniers indicateurs d’activité PMI pour les services et le secteur manufacturier laissent peu d’espoir à court terme. Il est probable que l’activité économique soit en contraction au quatrième trimestre. Malheureusement, les États européens ne semblent pas décider à envisager une politique de soutien ciblée et coordonnée. Ici et là, on commence à débattre de l’opportunité de soutenir l’économie, comme en Allemagne. Mais aucune mesure concrète ne semble être envisagée à court terme. La zone euro est certainement condamnée à entrer en stagflation.
La dernière mauvaise nouvelle n’en est pas vraiment une. L’économie américaine montre des signes d’essoufflement à cause du consommateur américain. La semaine dernière, la confiance du consommateur américain publiée par le Conference Board a chuté à un point bas de quatre mois en septembre. La hausse des taux d’intérêt, la flambée des prix de l’essence et la reprise du paiement des prêts étudiants à partir de ce mois pèsent sur les ménages américains. Selon une étude publiée par Jefferies portant sur plus de 600 Américains ayant un prêt étudiant à rembourser, environ 90% d’entre eux indiquent être inquiets concernant leur capacité à faire face à l’intégralité de leurs dépenses mensuelles. La moitié d’entre eux sont même « très » inquiets. Si le consommateur flanche ce trimestre, une contraction de l’activité est probable. En revanche, une récession semble exclue (c’est la bonne nouvelle de la semaine). La Fed n’envisage plus ce scénario depuis le 26 juillet dernier et, dans la foulée, la plupart des intervenants de marché se sont alignés et ont opté pour l’hypothèse du soft landing (ou atterrissage en douceur de l’économie américaine). A ce stade, il y a toutefois deux points d’incertitude : (1) comment va évoluer la politique monétaire dans ce contexte compliqué (combien de temps va durer la pause des taux et quand aura lieu la première baisse) et (2) quel va être le rythme de croissance en 2024. Il faudra certainement attendre la réunion de la Fed du 1er novembre pour y voir plus clair, au moins au niveau de la trajectoire des taux.

Le point technique

Sur le marché des changes, le dollar est toujours la valeur sûre des cambistes. Ce n’est pas une surprise au regard du panorama économique que nous venons de dresser. Cela implique que l’EUR/USD a certainement encore un potentiel de baisse important. Sur la semaine écoulée, la paire a chuté de 0,92%, évoluant autour de la zone située à 1,05. L’Institut de la Finance Internationale, qui est très respecté pour ses prévisions Forex, anticipe que l’euro va chuter sous la parité. C’est compliqué à court terme, selon nous. Il faudrait pour que cela se réalise que la zone euro connaisse une récession profonde, ce qui n’est le scénario de personne à ce stade. L’euro devrait également continuer de perdre du terrain face au dollar canadien. La devise du Canada est soutenue par la hausse continue des prix du baril de pétrole (+38% en trois mois). Tout indique que le marché pétrolier va rester sur une trajectoire haussière d’ici la fin de l’année. Selon les anticipations de Bloomberg, il faudrait trois millions de barils par jour supplémentaires pour que le marché renoue avec l’équilibre. Enfin, un mot sur les devises émergentes (puisque nous avons élargi notre couverture de change ces derniers mois). La bonne surprise de l’année 2023, c’est que les devises d’Amérique latine s’en sortent plutôt très bien. Il y a encore quelques années de cela, les pays d’Amérique latine connaissaient une inflation galopante et étaient parfois contraints d’opérer des dévaluations coûteuses. Ce n’est plus le cas. Le peso colombien est par exemple en hausse de 20% face au dollar américain et de 16% face à l’euro. Belle performance !

Les supports et résistances affichés ci-dessous indiquent respectivement les points bas et hauts au sein desquels les cours devraient évoluer dans le courant de la semaine.

 SupportshebdoRésistanceshebdo
S2S1R1R2
EUR/USD1,03901,04501,06501,0701
EUR/GBP 0,84660,85010,87880,8813
EUR/CHF 0,94990,95340,97550,9810
EUR/CAD 1,39801,40091,43451,4409
EUR/JPY 154,91155,13158,89159,50

Les annonces à suivre

Au niveau macroéconomique, la semaine qui débute va être dominée par l’emploi aux États-Unis. L’enquête ADP en milieu de semaine est sans intérêt. C’est une statistique qui ne reflète qu’imparfaitement l’état réel du marché du travail outre-Atlantique. C’est donc également un mauvais indicateur avancé de l’enquête NFP (Non-Farm Payroll) du Département du Travail. Rappelons que la Fed a besoin d’un marché de l’emploi en ralentissement marqué pour mettre fin définitivement au cycle de hausse des taux. A cet égard, les indicateurs du mois d’août sont encourageants : hausse du taux de chômage à 3,8% contre 3,5% en juillet et créations d’emplois en chute à seulement 187 000 contre une moyenne autour de 400 000 dans la période suivant immédiatement les confinements Covid. La Fed espère que la tendance va se confirmer avec les chiffres du mois de septembre qui seront publiés ce vendredi à 14h30. En toute logique, avec la disparition progressive du surplus d’épargne lié à la Covid, de plus en plus d’Américains devraient revenir sur le marché du travail, ce qui devrait conduire à une hausse du taux de chômage. C’est le phénomène qu’on a observé en juillet dernier.

Vous trouverez ci-dessous les publications et événements qui devraient avoir un impact majeur sur l’évolution du cours des devises.

JourHeurePaysIndicateurÀ quoi s'attendre ?
Le 02/10/202316:00USAIndice ISM manufacturier (Septembre)Précédent en contraction à 47,2.
Le 04/10/202314:15USAEnquête ADP sur l’emploi privé (Septembre)Précédent à 177K. C’est désormais considéré comme un mauvais baromètre du marché de l’emploi aux Etats-Unis. Sa publication entraîne peu de mouvements de marché.
Le 06/10/202314:30USARapport sur l’emploi du Département du Travail (Septembre)Le rythme des créations d’emploi a chuté à 200 000. C’est honorable au regard du cycle économique. Mais un ralentissement plus prononcé pourrait forcer la Fed à assouplir sa politique monétaire. A surveiller.

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