Premier tour de chauffe

La Banque Centrale Européenne (BCE) ouvre le bal des banques centrales de premier plan qui vont durcir leur politique monétaire en mars. L’enjeu n’est pas de savoir quelle va être l’ampleur de la hausse des taux ce mois-ci (ce sera 50 points de base) mais plutôt de savoir jusqu’où les taux vont monter. Si la BCE est plus hawkish que prévu (taux terminal plus haut que 4%), ce sera un élément de soutien indéniable pour l’euro.

En 2022, le pic d’inflation était sur toutes les bouches. En 2023, c’est l’expression « taux terminal » qu’on ne cesse d’entendre. Cela fait référence au taux à partir duquel les banques centrales vont arrêter de durcir la politique monétaire. On peut estimer que lorsque ce taux sera atteint, ce sera aussi le signe qu’on a gagné la bataille contre l’inflation. Le problème, c’est que les pressions inflationnistes ne cessent de s’accroître. Il y a une seule exception au niveau mondial : la Chine. Le pays connaît une inflation sous 2% qui reflète à la fois l’effet de la politique zéro Covid (qui a comprimé la demande pendant des années) et l’absence d’impact direct de la guerre en Ukraine. Dans les autres pays, l’inflation est un vrai casse-tête. Et comme cela ne va certainement pas s’améliorer de sitôt (selon les enquêtes d’opinion, les chefs d’entreprise du secteur des services veulent augmenter les prix), cela veut dire que le taux terminal s’éloigne un peu plus. Il est actuellement estimé à 6% aux Etats-Unis et légèrement supérieur à 4% en zone euro. Ce n’est peut-être qu’un début. Au Royaume-Uni, C. Mann, ancien chef économiste de la Citibank et qui est désormais à la Banque d’Angleterre (BoE), a reconnu que parler de taux terminal actuellement est certainement erroné car c’est une perspective « lointaine ». Cela veut tout dire. Il va falloir s’habituer à ce que le loyer de l’argent reste durablement élevé et que les conditions de refinancement soient bien moins accommodantes à l’avenir. La hausse des taux n’est pas prête de se terminer.
Aux Etats-Unis, la perspective d’une hausse du taux directeur de 50 points de base ce mois-ci est revenue sur le devant de la scène suite à l’audition du président de la Réserve Fédérale américaine (Fed), J. Powell, devant le Congrès américain la semaine dernière. Jusqu’à présent, 90% des acteurs de marché anticipaient seulement une hausse de 25 points de base. Ce n’est plus si certain. Powell a reconnu que l’inflation est bien plus répandue que prévu dans l’économie et que la très bonne santé du marché de l’emploi ne permet pas d’espérer une vraie décrue de la boucle prix-salaire. Il a raison. L’emploi tient très bien. Il y a encore près de deux postes ouverts au recrutement par chômeur. Les flux de démissions, qui sont propices à une accélération des salaires, ralentissent mais restent à un niveau élevé. En outre, les entreprises ne veulent pas se séparer de leurs salariés, par crainte de ne pas parvenir à en trouver. Résultat : le taux de lay-offs est seulement à 1,1% dans le secteur privé. C’est anormalement bas. L’enquête ADP sur l’emploi privé publiée mercredi dernier a aussi confirmé une dynamique bonne en février, avec 242 000 nouveaux postes créés. Il y a des points de fragilités (les petites entreprises, les secteurs de la construction et du transport). Mais ceux-ci sont faibles. Au niveau des ETI et des grandes entreprises, les créations d’emplois se poursuivent à un rythme impressionnant. Tout ceci n’est pas bon pour la dynamique d’inflation.
Outre-Manche, la situation économique est aussi plutôt bonne. Tous les économistes s’attendaient à un effondrement de l’économie britannique en 2023. Ce sera probablement moins pire que prévu. La Chambre de commerce britannique a annoncé jeudi dernier s’attendre à ce que le Royaume-Uni évite de justesse une récession. Mais la croissance va rester molle pendant longtemps. Le pays souffre de l’impact structurel négatif du Brexit (baisse de l’intensité du commerce international et diminution de l’investissement non résidentiel depuis le référendum de 2016 qui est essentiel pour que les entreprises maintiennent à niveau l’outil de production). La conclusion récente entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni d’un accord portant sur l’Irlande du Nord (qui permet le maintien du territoire dans le marché unique des marchandises) ne devrait pas être un accélérateur économique. L’Irlande du Nord ne représente que 2% de la production britannique – c’est marginal. En revanche, cela devrait réduire à néant les frictions commerciales qui sont apparues depuis le Brexit pour les entreprises commerçant entre l’Irlande du Nord et la Grande Bretagne. Le sujet a d’ailleurs fait l’objet de discussions entre le Premier ministre britannique R. Sunak et le président français E. Macron lors d’une réunion bilatérale la semaine dernière de ce côté-ci de la Manche.

Dans le cas français, la situation pourrait s’empirer à court terme. Les enquêtes d’opinion menées auprès des chefs d’entreprises du secteur des services montrent qu’une majorité d’entre eux envisage d’augmenter les prix. Le problème, c’est que les services représentent près de 50% du panier qui permet le calcul de l’inflation. S’ajoute à cela la flambée des produits alimentaires. Les négociations entre distributeurs et fournisseurs vont alimenter la hausse des prix des produits de base. Cela va devenir de plus en plus compliqué. Ne parlons pas de la grève du 7 mars qui pourrait être prolongée. Le contexte économique se dégrade rapidement en France.

Du point de vue de la politique monétaire, les récents chiffres de l’inflation en zone euro obligent la Banque Centrale Européenne (BCE) à faire preuve de fermeté. Le marché des changes anticipe une hausse de taux de 50 points de base en mars (c’est déjà intégré dans les prix du forex). Mais il prévoit que le cycle de durcissement monétaire perdure à court terme avec une autre hausse de taux d’ampleur similaire en mai (il n’y a pas de réunion de politique monétaire en avril) puis une hausse de 25 points de base en juin prochain. Le taux terminal (qui marque l’arrêt du processus de durcissement) est désormais fixé proche de 4%. Nous pourrions aller au-delà, en fonction de l’évolution de l’inflation. A ce stade, il faut bien reconnaître que faire des prévisions concernant l’inflation implique une marge d’erreur anormalement élevée. Personne ne sait vraiment à quel niveau elle sera dans trois mois (même pas la cohorte d’économistes de la BCE). C’est d’ailleurs ce qu’avait reconnu fin 2022 lors d’une intervention sur BFM Business le chef du département de conjoncture de l’INSEE.

De l’autre côté de l’Atlantique, le marché des devises intègre aussi la possibilité que la lutte contre l’inflation soit plus longue que prévu. Nomura (banque d’origine japonaise) est la première institution financière de premier plan à relever sa prévision de hausse des taux pour la Réserve Fédérale (Fed) en mars. Jusqu’à présent, 90% des intervenants du marché ont prévu une progression de 25 points de base. Nomura évoque une hausse de 50 points de base. Ce n’est pas notre scénario. Mais il faut reconnaître que c’est envisageable, surtout si la Fed souhaite taper fort et montrer sa détermination à faire revenir l’inflation vers sa cible de 2%. Pour être tout à fait transparent, il existe une incertitude importante concernant la trajectoire de la politique monétaire dans les mois à venir (surtout à propos de l’ampleur des hausses de taux). Cela devrait logiquement induire un regain de volatilité sur les paires du forex (en ce début d’année, la volatilité a été plutôt contenue sur beaucoup de devises).

Le point technique

Sur le marché des changes, l’euro n’a pas connu sa meilleure semaine. La monnaie unique est en repli face à ses principales contreparties, à l’exception du dollar canadien. La paire EUR/CAD est toujours bien orientée à la hausse (+1,15% la semaine dernière et +2,85% en variation mensuelle). Cela s’explique par la décision de la Banque du Canada de faire une pause de politique monétaire (alors que toutes les autres banques centrales continuent d’augmenter leurs taux directeurs pour lutter contre l’inflation). A court terme, la tendance haussière devrait perdurer. En ce qui concerne l’EUR/USD, la zone de variation dans l’immédiat se situe entre 1,05 et 1,07 mais nous nous attendons à un regain de volatilité dans les séances à venir (voir explication plus bas). Enfin, rien de très nouveau pour l’EUR/GBP. La monnaie britannique est toujours résiliente. Nous doutons que l’EUR/GBP soit en mesure d’aller au-delà de la zone des 0,89 dans l’immédiat.

Les supports et résistances affichés ci-dessous indiquent respectivement les points bas et hauts au sein desquels les cours devraient évoluer dans le courant de la semaine.

 SupportshebdoRésistanceshebdo
S2S1R1R2
EUR/USD1,04001,04331,06831,0774
EUR/GBP 0,86570,87660,89040,8965
EUR/CHF 0,96110,97450,99221,0010
EUR/CAD 1,43651,45141,47461,4830
EUR/JPY 142,83143,87146,47148,29

Les annonces à suivre

La semaine qui débute va être dense et intense. Les chiffres de l’inflation aux Etats-Unis (prix à la consommation et prix à la production) vont permettre d’affiner les attentes en termes de hausses des taux directeurs par la Fed ce mois-ci. Le ton très hawkish (en faveur d’un durcissement monétaire poussé) de Powell a remis sur la table la possibilité d’une hausse de 50 points de base. Mais la majorité des analystes anticipe toujours une hausse d’un quart de point. Une forte déviation de l’inflation par rapport au consensus (hausse de 0,4% en mensuel pour les prix à la consommation) donnerait plus de force à l’hypothèse d’une hausse d’un demi-point. S’ajoute à cela la réunion de politique monétaire de la BCE. L’enjeu n’est pas de savoir quelle va être l’ampleur de la hausse des taux ce mois-ci (ce sera 50 points de base) mais plutôt de savoir jusqu’où les taux vont monter. Si la BCE est plus hawkish que prévu (taux terminal plus haut que 4%), ce sera un élément de soutien indéniable pour l’euro. Vous l’avez compris, il y aura certainement beaucoup de volatilité sur l’EUR/USD cette semaine.

Vous trouverez ci-dessous les publications et événements qui devraient avoir un impact majeur sur l’évolution du cours des devises.

JourHeurePaysIndicateurÀ quoi s'attendre ?
Le 14/03/202313:30USAIndice des prix à la consommation (Février)C’est l’indicateur à surveiller cette semaine. Le consensus des analystes prévoit une hausse de 0,4% en variation mensuelle contre 0,5% en janvier.
Le 15/03/202313:30USAIndice des prix à la production (Février)Hausse de 0,4% en variation mensuelle après une progression de 0,7% en janvier. C’est donc un peu mieux.
Le 16/03/202314:15EURRéunion de la banque centrale Il n’y a pas de surprise à attendre. La BCE a été limpide sur ses intentions : ce sera une hausse de 50 points de base du taux directeur principal.
Le 17/03/202311:00EURIndice des prix à la consommation (Février)Faible impact sur le FX. Il s’agit de la dernière estimation pour le mois de février. Consensus à 8,6% en variation annuelle.

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